
LES ETATS DU DESIR 1.
LE LIT D'OBLOMOV
Un projet photographique réalisé par Samuel Fichet et Lena Paugam
Idée, conception: Lena Paugam
Image: Samuel Fichet
Création 2014
"Maintenant tu vis dans le silence.
Mais n'es-tu pas le plus silencieux de tous ?"
Georges Perec, L'homme qui dort, p.113 -
« OBLOMOV serait ici une femme.
On la suivrait dans ses rêves
On la suivrait avec son lit.
Il s'agit d'impressions physiques
De désirs troublés, de déplacements.
On entendrait ce texte dit comme depuis une salle de bain. Comme une rêverie à voix haute avec une ritournelle…
Ce serait un montage réalisé à partir de L'Homme qui dort de Georges Perec:
"SA chambre est le centre du monde
Un lac au milieu de Sa tête
Le jeu infini des formes indifférentes que Son regard avide quémande ou suscite.
Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus rien à attendre : que vienne la nuit, que sonnent les heures, que les jours s'en aillent, que les souvenirs s'estompent,
Jusqu'à ce que les mots perdent leur sens
Une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont elle n'attend rien.
ELLE DORT les yeux grands ouverts, comme les idiots.
Parfois, elle rêve que le sommeil est une mort lente qui la gagne, une anesthésie douce et terrible à la fois, une nécrose heureuse : le froid monte le long de ses jambes, le long de ses bras, monte lentement, l'engourdit, l'annihile. Son orteil est une montagne lointaine, Sa jambe un fleuve, sa joue est son oreiller, elle loge toute entière dans son pouce, elle fond, elle coule comme du sable, comme du mercure. Elle n'est plus qu'un grain de sable, homoncule recroquevillé, petite chose inconsistante, sans muscles, sans os, sans jambes, sans bras, sans cou, pieds et mains confondus, lèvres immenses qui l'avalent.
Elle grandit immensément, elle explose, elle meurt, fendillée, pétrifiée : ses genoux sont des pierres dures, ses tibias des barres d'acier, son ventre est une banquise, son sexe une étuve, son cœur un chaudron. Sa tête est une lande que la brume envahit, voiles légers, nappes épaisses, lourd manteau…"
(cf. Georges Perec - L'homme qui dort - pp.97 à 103)
On verrait défiler des images en noir et blanc.
Il y a le lit d'Oblomov sur la plage avec elle dedans, dans des draps.
Il y a un homme qui la rejoint dans le lit
Il y a une petite fille dans le lit avec un doudou
La femme dort avec un doudou elle aussi
Il y a le lit d'Oblomov dans une forêt.
Il y a le lit d'Oblomov dans un champ.
Oblomov creuse un très grand trou.
Il y a le lit d'Oblomov dans un théâtre.
Il y a le lit d'Oblomov dans un parking de supermarché.
Il y a le lit d'Oblomov dans une grande salle vide (Ker Annick)
Il y a le lit d'Oblomov dans un jardin.
Il y a le lit d'Oblomov dans un café, au milieu des buveurs. (Le chaland qui passe ?)
Oblomov creuse un grand trou dans le sable.
Elle plonge sa tête dans le trou dans le sable.
Elle plonge sa tête dans le trou dans la forêt.
Elle plonge sa tête dans le trou dans le champ.
Elle plonge sa tête dans les draps avec son amant. (//Magritte, Les Amants)
Elle plonge sa tête dans un sac plastique de supermarché.
Le lit est le refuge, le piège, l'endroit du renoncement
Le lit est le lieu des voyages immobiles
Le lit est le lieu d'une douceur étouffante
Le lit est le lieu de soi, du soi fécond et asséchant
Oblomov y vit.
Elle y vit. Voyage. Seule.
La petite fille, la grand-mère et l'homme.
Avec elle. Comme des énigmes.
On la voit dans une chambre en milles positions d'éveil.
Pensant à tout à rien, emmurée.
Jouant seule."