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SIMON

(Tête d'Or - partie 1)

 

Texte: Paul Claudel

Mise en scène:  Lena Paugam

Interprétation: Mathurin Voltz et Benjamin Wangermée

avec la participation de Charlotte Van Bervesselès

Création sonore et vidéo: Véronique Caye

Réalisation images vidéo: Laurent Fontaine Czaczkes

Scénographie: Aurélie Lemaignen

Création lumières: Dominique Nocereau

Costumes: Valérie Montagu

(Création 2013)

Simon, c'est d'abord l'appel d'un homme perdu aux choses qui l'entourent et dont il n'arrive pas à comprendre le langage, et puis c'est l'errance de deux figures esseulées, un fantasme de déambulation mentale qui devient un monologue à deux voix, un face à face en miroir.

Il y a celui qui ne peut rien, qui, maladroit, s’emprisonne lui-même avec les manches de son vêtement, un adolescent démembré, un écrivain fou gesticulant contre la vanité de sa parole. Et puis, il y a l’autre, celui qui ne veut point mourir, celui qui a fui, qui a vu  et qui est revenu, qui est reparti et encore de retour s’est retrouvé au point initial, attiré comme un aimant au « Lieu », au point d’ancrage, au point d’origine

. Au milieu de ce champ, sous de basses nuées, ces deux silhouettes cherchent un sens. Elles ne trouveront autour d'elles que du sang ou des larmes.

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PROJET DE CYCLE SUR "LA CRISE DU DESIR"

(Lena Paugam - novembre 2012)

 

« Il y a quelques temps, je lisais un article de Jean Loup Rivière dans la revue Alternatives Théâtrales. Il était question de désir et Lacan était cité : « Le désir, fonction centrale à toute expérience humaine, est désir de rien de nommable. ».  Jean Loup Rivière reprenait : 

 

« Si le théâtre, comme la cure analytique d’où le psychanalyste tire cette leçon, est une pratique qui tourne autour du pas nommable, alors il se pourrait bien que, dans ses machineries, il ait rapport au désir. Et que, peut-être, sans que l’on y prenne garde et qu’on ne l’envisage pas suffisamment sous cette perspective, il ne parle que de cela. »

 

La question m’intéressa. Et je me pris au plaisir de son étude. Qu’est-ce ce que le désir ? Pourquoi désire-t-on ? Que désire-t-on ? Comment désire-t-on ? Que signifie le fait de désirer ? D’exprimer son désir ? De se reconnaître comme sujet de désir et de le formuler, parfois même de le proclamer, de le revendiquer ? Et le théâtre, lieu par excellence de la parole, quel jeu entretient-il avec l’objet innommable du désir ? En quoi la question du désir est-elle essentielle au théâtre ? En quoi permet-elle de réfléchir sur les mécanismes du langage ? Je parle du langage parlé bien entendu mais également de ce qui se tait, de l’action silencieuse, révélatrice de ce que la parole ne peut nommer. En quoi le fait que l’objet véritable du désir soit fondamentalement innommable peut-il être un moteur dramaturgique ? Quelles sont donc, d’une certaine manière, les modalités théâtrales d’expression, de manifestation, et de représentation du désir ? 

 

Aujourd’hui, avec la compagnie Lyncéus-théâtre, je travaille sur la pensée du théâtre, sur ce que la littérature dramatique porte et véhicule. Nous choisissons de porter notre regard sur des phénomènes, des mouvements liés à la pensée de notre temps. Le premier cycle de nos créations s’articule autour du thème de « La crise du désir ». Nous partons d’une hypothèse : il semblerait que la modernité soit marquée par ce que l’on pourrait appeler une crise du désir. Si le théâtre « ne parle que de cela », du désir, il devrait en porter les traces. 

 

Le thème du désir, en philosophie, en littérature, dans les arts en général, est loin d’être nouveau. Il occupe le devant de la scène au moins depuis Platon et les problématiques auxquelles il est lié sont extrêmement variées. Il nous paraît intéressant de relier ce thème à l’histoire de la dramaturgie et, plus généralement, à celle du théâtre. Nous établissons l’hypothèse selon laquelle il y a une fracture au XIXe du point de vue de la question du désir en tant qu’objet d’intérêt pour les dramaturges. 

 

Cette fracture, cette crise dont nous parlons, qui serait à relier à la « crise du drame » qu’on évoque fréquemment dans les livres d’histoire du théâtre, se situe bien évidemment dans un cadre plus large. Le XIXe siècle connait un bouleversement dans tous les domaines. Il n’est pas étonnant que le théâtre en soit affecté. L’avènement du capitalisme et de ses valeurs adjointes provoquent de telles mutations sociales que les besoins des groupes et des individus changent.  

 

Du point de vue de la considération du désir, plus d’un siècle auparavant, les philosophes avaient entrepris de le reconsidérer d’un point de vue positif. Après avoir été longtemps l’opprobre des censeurs, partisans de la recherche d’un bonheur ascétique, d’une quiétude où primerait la sagesse raisonnable, on entend de plus en plus de penseurs en faire l’éloge. Le désir, même s’il se base sur l’hypothèse d’une satisfaction qui pourrait n’être qu’illusion et n’ajouter à l’âme qu’un tourment de plus, est sans doute préférable à une vie vécue dans sa monotonie et le confort bourgeois de la tranquillité. Kierkegaard, dans Le Journal du Séducteur dira : « que de jouissance à être ainsi secoué sur une eau agitée – que de jouissance à être secoué soi-même. ». Les romantiques ont porté assez haut cette gloire du trouble de l’âme, le désir fait la grandeur de l’individu, il est la marque de la subjectivité et du plaisir de voir, de se voir, dans le temps projeté. (Les visionnaires, les génies, sont ainsi célébrés par leur grand Désir !). Ce point de vue arrive peut-être à son point culminant quand il est soutenu par la philosophie de Nietzsche. L’épanouissement de l’être, la richesse de la vie intérieure passe par l’acceptation de la guérilla des désirs, par l’éloge de ce que la morale condamne : la volupté, la soif de pouvoir et l’égoïsme. 

 

Et parallèlement à ce mouvement, paradoxalement, son contraire se manifeste dans un doute. Dans un contexte de l’expansion industrielle où le désir est saisi par le marché, où l’individu est sollicité en tant que consommateur de désir, la subjectivité est mise en question : est-ce bien moi qui désire ou bien un ensemble auquel j’appartiens ? Qu’est-ce que je désire vraiment et qu’est-ce qui m’est propre ? Si le fait de désirer me fait sentir que je vis, que je suis en mouvement, que je suis un être qui va et devient, que se passe-t-il si ce désir n’est pas mien, si ce désir est un produit qui m’est imposé ? Et si nos désirs n’étaient que communs ou collectifs ? Et si nous étions, à ce moment-là, tombés malades du désir ? La crise du désir réside peut-être bien là : au moment où le désir, aliéné, se révèle dans son impersonnalité, quand le désir cesse de s’appartenir pour devenir désir de l’autre, désir « comme » l’autre…

Voilà, nous arrivons à la crise du désir dont nous souhaitons parler. Nous partons du constat selon lequel, dans le théâtre classique, (comme on le sait, profondément marqué par les théories d’Aristote concernant le primat de l’action dramatique sur tous les autres éléments de composition d’une pièce de théâtre), le mouvement des pièces est assujetti au désir.  Son objet est clairement exposé, qu’il soit matériel (un objet à chercher, un éventail ou un chapeau de paille d’Italie, par exemple…) ou immatériel (désir de pouvoir, désir de vengeance, désir de reconnaissance, désir d’amour ; il est le prétexte de toute action, et motive intrigues et quiproquos. 

 

C’est à partir du moment où, à la fin du XIXe siècle, les dramaturges se détournent de l’action dramatique traditionnelle, que le désir se voit réévalué. Son objet ne se formule plus de la même manière. Il apparait difficile à concevoir, douteux, incertain. Les personnages des pièces, privés de grandes actions dramatiques, sont ramenés à leur quotidien. On présente des morceaux de vie aux traits réalistes, où les personnages sont engoncés dans la pesanteur de leur milieu et peinent à en sortir. Le désir d’aller à Moscou, par exemple, pour les trois sœurs de Tchekhov, n’est qu’un rêve inopérant. Le temps est ralenti, la dynamique presque morte. On voit s’émietter les personnages, réduits de plus en plus à l’état de figures, de silhouettes, de spectres. Pour ceux qui, comme le Peer Gynt d'Ibsen ou L’Inconnu du Chemin de Damas de Strindberg, partent à la découverte d’eux-mêmes, le désir de se trouver ne fait qu’aboutir sur des impasses, des pelures d’oignon ou des carcasses vides. 

                                              

Tenace et insatiable, il s’appuie sur une faille, celle de l’insatisfaction fondamentale de l’homme et s’avère toujours tragique. Petit à petit, l’expression du désir, comme projection dynamique en vue d’un devenir, s’étiole. Dans le théâtre meurtri de la deuxième moitié du XXe siècle, le désir n’est presque plus nommé. Toujours intimement recherché, il n’est plus avoué, plus accepté et parfois même plus éprouvé, plus senti du tout. Un doute terrifiant concernant l’aveu du désir peut être dans un monde qui s’en sert, qui le détourne comme une valeur marchande. La peur d’être dépossédé de son désir comme dépossédé de sa vie. Thème privilégié du théâtre, la question de la mort est inévitablement liée à celle du désir. Si le sentiment de vie réside dans la force dynamique du désir et que celle-ci est mise en péril, alors il est compréhensible que celui qui ne désire pas, ou plus, puisse douter de son existence même. Et c’est dans la violence d’un rapport frontal avec le corps de l’autre que l’on recherche le moyen de le faire sortir, de l’exprimer enfin, comme un gage de vie, de (sur)vie, un retour angoissé à la pulsion, faute de mieux, pour se sentir un et vivant…

 

UNE RECHERCHE AU SEIN DU DOCTORAT SACRe

 

             

Le projet « Crise du désir, états de suspension, espaces d’incertitude » a été sélectionné pour faire l’objet d’une étude dans le cadre du doctorat SACRe (Science, Arts, Création, Recherche) proposé par l’établissement Paris Science et Lettres. A ce titre, je fais partie d’un laboratoire de recherche transdisciplinaire constitué d’artistes issus de l’école des Beaux-Arts de Paris, de l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, du Conservatoire National Supérieur de Musique, du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique et de l’Ecole Normale Supérieure (Rue d’Ulm).  

 

Les pièces du cycle sont :

Tête d’Or, de Paul Claudel

Les Yeux bleus cheveux noirs, de Marguerite Duras

Détails, de Lars Norén

Dans la solitude des champs de coton, de Bernard Marie Koltès.

 

 L’objectif de ce regroupement de textes et d’auteurs est d’associer une approche théorique, une réflexion approfondie sur l’art théâtral, son histoire, ses pratiques, des modes de représentation, et une approche pratique rigoureuse qui se déploie sur le mode de l’expérimentation. La pluralité des voix portées sur le sujet permettra d’en expérimenter les facettes, de mettre en perspectives des états du monde suspendus dans les textes

                                   

                                 

 Pour chacune de ces pièces, des collaborations sont envisagées avec des artistes d’autres disciplines. Ainsi, pour Tête d’Or, Lyncéus-théâtre invite la vidéaste Véronique Caye à participer à l’élaboration du travail en apportant son savoir-faire et son regard sur les nouvelles technologies numériques. De la même manière, pour Et, dans le regard, la tristesse d’un paysage de nuit, pièce adaptée des Yeux bleus cheveux noirs de Marguerite Duras, c’est le compositeur Aurélien Dumont qui rejoint la compagnie pour réfléchir à un dispositif sonore lié à ses recherches commencées à l’IRCAM. 

 

 

 

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