
OVNI RÊVEUR
le corps éparpillé dans la tête
Ovni rêveur, ou le corps éparpillé dans la tête est un dialogue théâtral et chorégraphique conçu par Lena Paugam pour et avec deux interprètes, l’autrice autiste sans paroles Babouillec et le comédien et performeur Félicien Fonsino
À travers ce projet très singulier, il s’agira de s’interroger sur le temps que chacun prend pour écouter, regarder, sentir, se rencontrer. Comment la poétesse Babouillec raconte-t-elle l’écart qui nous sépare d’elle, privée de l’usage de la parole ? Comment exprime-t-elle ce qui traverse son écriture?
Fascinants, drôles, énigmatiques, bouleversants d’intelligence, de clairvoyance et de sensibilité, sous le regard de Lena Paugam, Babouillec et Félicien Fonsino inventeront à travers ce spectacle un langage qui leur ressemble.
Suivant l’ensemble du processus propre à cette création, la réalisatrice Julie Bertuccelli mène un projet cinématographique documentaire porté par la société de production Les Films du Poisson.
.
Création en salle en février 2025 Théâtre de Lorient - centre dramatique national
Texte
Babouillec
Conception / Mise en scène
Lena Paugam
Interprétation
Babouillec et Félicien Fonsino
avec la participation de
Véronique Truffert
Voix
Arthur H.
Transmission chorégraphique
Thierry Thieû Niang
Assistanat à la mise en scène
Caroline Darchen
Régie générale
Damien Farelly
Création sonore
Xavier Jacquot
Création lumières
Louisa Mercier
Scénographie
Pierre Nouvel
Vidéo
Thomas Lanza
Costumes
Philomena Oomens
Dramaturgie
Leslie Six
Accompagnement de Babouillec
Chimène Barros et Renaud Tefnin
Coproductions
Théâtre de Lorient - CDN, La Villette / Initiatives
d’Artistes (Paris - 75), Centre national pour la création adaptée (Morlaix),
Le Quartz - scène nationale (Brest), Théâtre national de Bretagne - CDN de Rennes, Les Bords de Scène (Juvisy)
Avec la participation du fonds de soutien à l'insertion professionnelle de l'école du TNB
Remerciements: Théâtre national de la Colline
LENA PAUGAM PARTAGE LES RÊVES DE BABOUILLEC
Article de Marie Plantin
Publié sur le site Sceneweb.fr - le 14 mars 2025
"Autiste et poète, Babouillec fait ses premiers pas sur scène sous le regard juste et délicat de Léna Paugam. À ses côtés, Félicien Fonsino accorde sa grâce à la sienne dans un duo sensible où le mouvement des corps répond à l’écriture poétique. Ovni rêveur porte bien son titre en ce qu’il déplace le curseur de la perception et invite à une expérience onirique et sensitive.
Babouillec est son nom d’artiste. Babouillec est autiste. Babouillec est poète. Babouillec ne parle pas, mais elle s’exprime par écrit, sans stylo ni ordi, grâce à une invention de sa mère, Véronique Truffert, présente sur scène à ses côtés dans la première partie de la traversée-bulle qui nous est proposée. Attablée face au public dans un écrin immaculé encadré de rideaux de lianes, Babouillec nous parle sans que l’on entende le timbre de sa voix, à l’aide d’un alphabet de lettres découpées et ordonnées dans une boîte en bois. À peine quelques sons s’échappent, inarticulés, volés au mutisme de son état, tandis que son corps est parfois pris de mouvements imprévisibles et désordonnés. « Le corps éparpillé dans la tête », voilà ce qui caractérise Babouillec et lui donne cette allure lunaire et cet air à part, sa démarche enfantine et légère, son esprit tout ouvert.
Lettre après lettre qu’elle pioche une à une, Babouillec dessine des îlots de mots, compose des guirlandes de phrases, qu’une caméra discrète projette en fond de scène. Lentement, elle trace entre nous la possibilité de la rencontre. La substance de l’ici et maintenant qui nous rassemble. Parfois sa main s’arrête, son regard se lève vers on ne sait quel mystère, tandis qu’une silhouette fantomatique pénètre la surface claire de cette pièce imaginaire, chambre d’écho d’un cerveau atypique. Le comédien Félicien Fonsino, à qui le chorégraphe Thierry Thieû Niang, qui devait à l’origine être au plateau, a passé le relais, hante comme une onde évanescente le duo mère-fille très concret qui fait corps dans le geste d’écriture. Toute l’attention du public est contenue dans ce mouvement de va-et-vient de la main qui agence la pensée sur l’à-plat de la table et imprègne son rythme dans l’épaisseur du spectacle.
Éclats de son âme vibrante, fulgurances de sens et fracas de conscience, les poèmes de Babouillec sont des prophéties sans Dieu, des épiphanies du langage, des passages qui se fraient dans les bas-côtés de la rationalité, des trouées d’élan pur, des traits d’union cosmiques. Tantôt projeté à la verticale en lettres minuscules ou majuscules, tantôt diffusé en voix off à travers le timbre inimitable et caverneux d’Arthur H, le texte façonné par Babouillec est sidérant de beauté. Il ouvre un espace d’hyper-sensorialité, déplie des champs insoupçonnés de l’esprit, célèbre nos singularités magnifiques et sublime la liberté d’être comme on est, sans souci de la norme ou du format adéquat. Babouillec nous invite à être en éveil épidermique, à regarder au-delà des apparences, à jouir d’exister, à rêver nos vies, à être « amoureux de l’impossible ». Chaque phrase distillée au compte-gouttes s’offre comme un cadeau à méditer, une nourriture céleste, la possibilité d’embrasser l’univers.
Ce spectacle en état de grâce porte la patte délicate et subtile de son initiatrice et metteuse en scène Léna Paugam, qui ne force rien ni ne formate, créé les conditions de l’échange et ménage une place à l’improvisation, à l’imprévu, aux anges qui passent. Ceci n’est pas une représentation, mais une tentative hors du temps de s’isoler ensemble à l’écart du flux extérieur pour mieux nous reconnecter, à nos identités fractionnées, à l’altérité fascinante, à tous les impensés, à notre humanité même. Et tous les éléments mis en jeu participent de cet état d’esprit, de cet engagement artistique, de ce pari existentiel. La scénographie de Pierre Nouvel est comme une page blanche, une surface de projection onirique, un territoire épuré, débarrassé du superflu, de tout ce qui pourrait brouiller la vue. Et lorsque descend des cintres cette ampoule-boule, ronde comme une planète, tapissée d’un fond d’eau qui vient s’égoutter en dripping aléatoire sur le sol, c’est tout un monde qui apparaît dans la transparence de ce balancier et la cartographie liquide qui sillonne le tapis. Quant aux costumes de Philoména Oomens, ils s’accordent et se fondent dans le décor, augmentent les corps, s’ajoutent et se retranchent en métamorphoses ondoyantes, et participent de cet univers à l’envers. Tunique de Pierrot lunaire, robe de statuaire pour la mère et jupe à arceaux pour Babouillec, seconde peau pour le danseur, franges ondulantes et masque abstrait, les présences sont cousues de rêves et d’ailleurs, elles évoluent de l’autre côté du rideau, émanations de leur environnement blanc. Comme un conte sans histoire. Une maison sans murs où se murmurent des secrets et révélations.
La création musicale de Xavier Jacquot, d’abord sourde et sombre, s’amplifie, gonfle en sonorités rock et réminiscences jusqu’à la scène finale et ses palpitations électros qui viennent littéralement faire tressaillir et soulever les corps. Entre-temps, Babouillec et Félicien Fonsino occupent à deux le plateau dans les aléas d’une chorégraphie sur le fil qui s’invente en un duo tactile et libre. Les contacts ne sont jamais forcés, ils se tressent en pointillé, les trajectoires n’obéissent à aucune loi, sinon à celle, physique, de l’impulsion. Babouillec traverse le miroir, s’approche précautionneusement des premiers rangs et son regard sur nous ne s’oubliera pas. À ses côtés, Félicien Fonsino a le corps souple et délié, presque flottant, le visage d’un mime. Il initie des propositions et répond aux inspirations de sa partenaire. Tout en lui est écoute et disponibilité, perméabilité et ouverture. Les voir évoluer, composer ensemble cette danse incertaine et tâtonnante vaut plus que toutes les chorégraphies les plus virtuoses. Il n’y a pas de perfection ou d’imperfection qui tienne ici. Il y a l’euphorie d’être ensemble dans la musique et le dense désir de danser. Palper cet imperceptible est une expérience unique et inouïe. Babouillec est un trésor et le miracle de la rencontre avec le public opère. Avec cet Ovni rêveur, Léna Paugam répond à la poésie par l’effacement de la volonté, l’humilité sincère, l’infime immense et l’essence de l’invisible. Et ce faisant, signe une œuvre dépouillée qui bouleverse."
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
https://sceneweb.fr/ovni-reveur-ou-le-corps-eparpille-dans-la-tete-de-lena-paugam/
QUAND LE SILENCE DEVIENT POESIE SCENIQUE
Propos recueillis par Olivier Frégaville - Gratian D'Amore
Publié sur le site l'Oeil d'Olivier le 10 mars 2025
« Après l’avoir créé fin février au Théâtre de Lorient, la metteuse en scène présente Ovni rêveur – Le Corps éparpillé dans la tête du 12 au 15 mars à La Villette. Rencontre avec l’impalpable.
En quelques mots, quelle est l’origine de ce spectacle ?
Lena Paugam - Tout a commencé par mon envie de travailler avec Babouillec. En 2018, lorsque j’ai mis en scène le scénario des Idiots de Lars von Trier, je me suis intéressée aux représentations et aux fantasmes liés à la figure de l’idiot. J’ai alors découvert ses textes, une écriture d’une force et d’une liberté inouïe. Je lui ai proposé de participer au spectacle en répondant à la question : « Les idiots sont-ils des anges ? » Sa façon de dynamiter les préjugés était absolument irrésistible !
Pendant des années, j’ai cherché comment faire vivre la poétique de Babouillec sur scène. Finalement, j’ai choisi de l’inviter à habiter le plateau, à explorer avec nous ce que la scène représente pour elle. Je voulais créer un espace où son langage puisse résonner dans toute son intensité.
Babouillec est une poétesse, mais aussi une artiste au parcours unique…
Lena Paugam - Absolument. Elle est autiste non verbale. Son rapport au monde est différent, et son écriture témoigne d’un regard singulier sur notre rapport à l’altérité. Accompagnée au quotidien par sa mère et des aidants, elle a encore très peu d’autonomie. Mais il était essentiel pour nous que le spectacle ne parle pas d’autisme, mais bien d’une rencontre sur scène entre elle, en tant qu’artiste, et le danseur et chorégraphe Thierry Thieû-Niang. Pour des raisons personnelles, ce dernier ne sera pas présent sur scène durant les représentations. C’est à présent le comédien et performeur Félicien Fonsino, formé par Thierry, qui l’accompagne sur le plateau. Nous avons exploré ensemble ce qui peut naître du silence partagé. Notre première question a été : comment mettre en scène un langage qui ne passe pas par la parole, mais par le corps, par la présence pure ? Après plusieurs semaines d’expérimentation, Babouillec a écrit un texte qui parle de notre travail. Dans le spectacle, il est porté par la voix enregistrée d’Arthur H.
Comment avez-vous travaillé ensemble, sachant que chaque soir, sa présence est imprévisible ?
Lena Paugam - C’était tout le défi ! Babouillec n’a pas la même organisation corporelle que nous : sa motricité et ses sensations sont différentes. Nous avons mené plusieurs résidences à La Villette, explorant un langage scénique qui passe avant tout par le corps. Nous avons improvisé de longues séquences à partir de thèmes choisis.
Quand son texte est apparu, nous avons suivi son fil en créant des tableaux oniriques qui évoluent selon la présence des deux corps en scène. Hélène (alias Babouillec) est très surprenante. Elle ne reproduit jamais les choses à l’identique. « On ne me fige pas dans la réécriture de mon esprit », me dit-elle. C’est un choix que je souhaite respecter. Mon parti pris est de ne pas contraindre ses mouvements et de la laisser libre de vivre son texte de l’intérieur, au présent de la représentation. Chaque soir est donc différent, ce qui rend chaque représentation unique.
Ce spectacle repose donc sur l’imprévu ?
Lena Paugam - C’est, je crois, ce qui fait sa beauté. Même si nous avons une structure narrative, nous avons appris à accueillir l’imprévisible. Babouillec ouvre le spectacle par un monologue écrit en direct : personne ne sait ce qu’elle va dire avant qu’elle ne l’écrive, pas même moi. C’est un moment d’une intensité rare, qui nous plonge dans son rapport à l’écriture, à la pensée, au monde. Cette scène initiale est comme une porte que nous franchissons avec elle, nous immergeant dans un autre rapport à l’écoute.
La scène devient alors un espace de liberté pour elle ?
Lena Paugam - Son texte parle de la scène comme d’une hétérotopie, un lieu où tout devient possible, où la liberté d’être soi se manifeste pleinement. Elle s’amuse du paradoxe théâtral : « En liberté, l’animal est sauvage ; en cage, le fauve se rebelle. La scène est une liberté de cage pour donner au corps à vivre l’animal de l’autre, comme le sacre d’une naissance à l’envol de l’esprit. ». À travers le mouvement et l’immobilité, à travers ce dialogue singulier entre elle et Félicien Fonsino, nous assistons à une véritable danse de l’invisible. Sa poétique emplit l’espace.
Et c’est un engagement physique intense pour elle…
Lena Paugam - Des choses qui semblent très simples nécessitent pour Hélène un travail et un effort considérables. Mais le fait d’être en scène avec Félicien a beaucoup de sens pour elle. Parler de la Rencontre, de ce qui la rend possible, de ce qu’elle requiert, dépasse la question de l’autisme et nous ouvre une porte vers notre humanité. Hélène a passé les vingt premières années de sa vie dans le silence total, sans école, sans apprentissage formel de la lecture ou de l’écriture. C’est par hasard que sa mère a compris qu’elle savait lire, en observant un simple jeu d’agencement de formes et la manière de le ranger. Pas à pas, années après années, elles ont cheminé l’une vers l’autre pour se rencontrer et se comprendre. Cette histoire est incroyable. Aujourd’hui, Hélène communique à l’aide d’une boite comprenant un alphabet de petites lettres. Écrire est devenu pour elle un acte vital, une manière d’être en relation avec le monde. Elle est l’autrice de plusieurs romans, œuvres poétiques. Dernièrement, est paru également un livret d’opéra.
Une poétesse hors norme, donc ?
Lena Paugam - Incontestablement. Babouillec est une des voix majeures de notre époque. Son courage, sa générosité, sa poésie dépassent toutes les limites et offrent. Son est une véritable ode à la différence et à la patience, à cet « amour du silence jusque dans son imperfection ». C’est une expérience inoubliable, une invitation à ressentir la force du silence et du corps en mouvement. Une véritable traversée poétique, où chaque spectateur est convié à reconsidérer la puissance du langage et de la présence."
https://www.loeildolivier.fr/2025/03/lena-paugam-quand-le-silence-devient-poesie-scenique/